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Gens de la Fontaine
25 août 2019

L'arbre géant qui cache la minuscule forêt.

           L’arbre géant qui cache la minuscule forêt.

   JRD. (pseudo, car il nous a demandé discrétion) est géographe urbaniste ethnopaysagiste connu pour ses prises de position sur la pertinence des corridors écologiques et des ceintures vertes périurbaines. C’est avant l’oût foi d’animal intérêt et principal, alors que le jour flemmardait dans ses brumes, que, assis sur un muret semblable à celui de la fameuse fontaine, il nous a accordé quelques minutes de son précieux temps.

Gens de la Fontaine : JRD., vous êtes maintenant au courant du projet de la Minoterie et du terrain de la Fontaine. Résumons : la friche industrielle va sauter, on édifiera à la place un immeuble, la prairie va disparaître pour laisser la place à un lotissement de vingt-six maisons individuelles. Les riverains grognent, les piétons piétinent et les écolos banderolent avant peut-être d’envisager une zad.

JRD. : Je ne connaissais pas l’endroit. Je connais désormais le dernier projet. Que la Minoterie saute, cela devait arriver. Il y a longtemps qu’il aurait fallu s’en occuper. Maintenant, les experts affirment que c’est trop tard. Pas de commentaire. Pour ce qui est du terrain, de cette magnifique prairie, n’est-ce pas du gâchis ? On peut toujours me dire qu’il y a un besoin immobilier, que la métropole rennaise doit construire, que le Plui a acté cela. N’est-ce pas contestable, n’y a-t-il pas scandale ?

GF : Mais alors ?

JRD : Mais alors ? Mais alors, qui dit qu’il y a un besoin immobilier, que la métropole rennaise doit construire, que le Plui a acté ? Qui ? Les Rennais, les métropolitains, les habitants de la commune, les riverains de la Fontaine ? Les élus de la ville de Rennes ? Sait-on combien de logements sont vides, combien pourraient être restaurés, dans Rennes, dans les centres bourgs des villes de la métropole, sans augmentation de loyer, pour qu’ils restent à prix bas ou modérés ? Ou bien ne sont-ce pas plutôt les ambassadeurs des lobbies qui dictent la politique urbaine, qui élaborent les plans des constructions dans la métropole, qui décident de ce qui sera rasé ou pas, de ce qui sera réhabilité ou pas, qui tendent ensuite le stylo aux élus qui n’ont plus d’autre choix que de signer ? Ces représentants des lobbies ne siègent-ils pas à la métropole et dans de nombreuses villes ?

GF : Pourtant cette métropole se veut modèle écologique, concourt même pour le titre de ville-métropole la plus écolo d’Europe ?

JRD : Comme dit mon ami architecte et maître d’œuvre ACh. (pseudo pour discrétion) cela ne prouve rien. C’est facile de concourir pour être adoubé par ses pairs. Ces décorations ne sont-elles pas une mascarade, ne sont-elles pas là pour combler les egos et pour regarder ailleurs.

GF : Et la ceinture verte ?

JRD : Je vais reprendre les mots d’une amie, M.T. (pseudo pour discrétion), « les ceintures vertes très à la mode sont l’arbre géant qui cache la minuscule forêt ». De nombreux projets grignotent régulièrement la ceinture verte rennaise, ceinture mouvante au gré des désirs des élus qui, il faut bien le dire, à part quelques rares exceptions, sont de la génération tout voiture tout béton tout goudron tout propre tout zone commerciale …

GF : Vous voulez parler de l’Open Sky ?

JRD : Par exemple. Ou bien le Clos d’Orrière, le Chêne-Morand, les bois, les champs, les zones humides, les prairies Saint-Martin ...

GF : Les prairies Saint-Martin ? Elles sont présentées comme un exemple de parc naturel, de poumon vert concerté au cœur de Rennes.

JRD : Soyons francs : ici, il faut parler de parc urbain, de base de promenades et de loisirs, rien de plus, avec quelques zones de nature contenue, dressée, domestiquée. Mais pas de poumon vert. Un poumon vert implique la non-intervention de l’homme, l’acceptation du sauvage. En France, on refuse ce sauvage. Regardez ce qui se passe avec la Corniche des Forts, aux portes de Paris ? Dans et autour de Rennes, comme des métropoles françaises, qu’y a-t-il de sauvage ? Et puis, pour la concertation, avez-vous demandé aux gens qui vivaient sur place ? Qu’a-t-on gardé de ce qui existait, des taillis et des buissons qui s’étaient développés, des biotopes constitués sans intervention …

GF : Pardon, mais revenons au terrain de la Fontaine. Vous parliez de gâchis.

JRD : Et comment ! De plus, sortir l’argument du terrain privé ne tient pas. Que le propriétaire ait voulu vendre, c’est son droit, qui pourrait l’en blâmer ? Mais que cette zone verte disparaisse, quand les médias et les élus de tous bords, de l’échelon local à l’échelon national, n’arrêtent pas de parler de protection de l’environnement, de sauvegarde de la biodiversité, de lutte contre le dérèglement climatique. Alors qu’il faudrait freiner, cesser toute artificialisation, on accélère. Dans les communes de la métropole rennaise, les chantiers poussent de partout. Il en naît quasiment chaque semaine.

GF : Bref, vous êtes en colère. Mais, posément, qu’aurait-on pu ou dû faire ?

JRD : Garder le plus possible de terres. A la place des vingt-six ou vingt-sept maisons individuelles avec leur accès goudron, leur haie, leur gazon tondu à ras, leur olivier et leur palmier en pot, ne pouvait-on bâtir un unique immeuble pour vingt-six familles, et laisser le reste en vert. Pour engranger un maximum d’argent, on préfère planter des maisons alors que chaque commune devrait planter sa forêt. Il sera difficile de revenir en arrière.

GF : Trop tard …

JRD : Non ! Il n’est jamais trop tard. Des zones dévastées ont été replantées. Je pense à l'Ethiopie, au Soudan, ou bien à la ferme de mon ami Salgado au Brésil …

GF : Il s’agit d’un vaste domaine. En comparaison, ici, le terrain de la Fontaine est minuscule …

JRD : Il n’y a pas de petit terrain, comme il n’y a pas de petit combat. Chaque hectare est à sauvegarder. On n’a plus le droit de gaspiller le moindre espace. On nous dit qu’on replantera après, plus tard, peut-être, mais cela demande au moins dix à quinze ans pour qu’un biotope se reconstitue. Qui sait, dans dix ou quinze ans, quelles espèces (espèce humaine comprise) existeront encore ?

                 Entretien pour Gens de la Fontaine que nous publions cependant même si nous avons décidé de jeter la clé (dans la fontaine).

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